Trop jeune - Trop vieux

29 Novembre 2012
Domaine d'action: Emploi
Critère de discrimination: Âge

Quels effets les stéréotypes liés à l’âge ont-ils sur l’emploi et les relations de travail ?

Au travail nous sommes très vite taxés de « vieux », avec toutes les tares que cela présuppose : facultés d’adaptation et capacités cognitives réduites, problèmes de santé, lenteur,… Mais être jeune entraîne aussi son lot de stéréotypes : manque d’expérience et de discipline, arrogance, moindre fidélité à l’employeur, etc. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme s’est penché de plus près sur l’effet des stéréotypes liés à l’âge sur l’emploi et les relations de travail.

Sur le contenu des stéréotypes, le sondage « Trop jeune – Trop vieux. Stéréotypes et préjugés relatifs à l’âge au travail », réalisé à l’occasion de l’Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle, confirme les intuitions de départ. Selon les travailleurs interrogés, les travailleurs plus âgés seraient « chers, moins motivés, physiquement plus faibles donc moins productifs, hermétiques au changement, ils maîtrisent moins rapidement les nouvelles technologies, ne sont pas flexibles, sont nostalgiques, protégés et fermés ». Mais ils seraient aussi « loyaux, matures et calmes, altruistes et surtout possèdent une grande expérience profitant aux autres ». Les jeunes sont pour leur part perçus par les autres travailleurs comme « ayant un manque d’expérience, paresseux et désinvoltes, arrogants et assez sûrs d’eux, exigeants, recherchant avant tout un équilibre vie professionnelle/vie privée, ambitieux et carriéristes, instables et dépendants, manquant de respect et individualistes, pas loyaux ». Mais ils seraient aussi « orientés Internet, dynamiques, ouverts et avides d’apprendre, créatifs et innovateurs, issus d’une génération qui ose s’exprimer ». On voit en outre que les préjugés cités par les employeurs sont très semblables, même si ceux-ci voient davantage les personnes plus âgées comme « des gens conservateurs et critiques », et les jeunes comme « trop orientés statut et se revendiquant plus compétents qu’ils ne le sont ».

Petite précision : les répondants estiment en moyenne qu’on est jeune jusqu’à 30 ans et vieux à partir de 55 ans sur le marché du travail. Ils estiment que les employeurs nous vieillissent plus rapidement encore en plaçant cette dernière limite à 50 ans.

Des perceptions qui évoluent au fil du temps et des mesures emploi

On note cependant certaines évolutions positives des perceptions : ainsi, l’image stéréotypée du travailleur plus âgé qui a des capacités d’adaptation réduites reste présente, mais avec moins d’intensité. Dans l’autre sens, le stéréotype du jeune qui accorde plus d’importance à l’équilibre entre travail et vie privée est aujourd’hui fortement ancré. Mais cette catégorisation sociale n’est pas négative en soi. Les travailleurs plus âgés ont du respect pour ces jeunes qui œuvrent à une meilleure qualité de vie.

« Généralement, les travailleurs et les employeurs sont conscients des stéréotypes et des préjugés au travail », explique Edouard Delruelle, directeur adjoint du Centre. « Ils reconnaissent qu’il existe une catégorisation sociale des jeunes et des plus âgés. Mais le sondage démontre avant tout l’importance de promouvoir les contacts entre les travailleurs jeunes et plus âgés. Il faut tendre vers des groupes plus hétérogènes au travail. On note, par exemple, dans le sondage, le souhait de la part de travailleurs plus âgés d’une plus grande collaboration avec les jeunes. Les employeurs en sont conscients mais ils n’y travaillent pas activement. »

Le rapport montre également que la politique de l’emploi des autorités fédérales, via les mesures orientées vers les jeunes et les plus âgés, contribue sans nul doute inconsciemment et indirectement à la création de stéréotypes – négatifs mais parfois aussi positifs – sur les jeunes et les plus âgés.

Des différences régionales et sectorielles

Autre enseignement du sondage : les a priori négatifs sont plus marqués dans certaines régions, certains secteurs et selon les statuts. Ainsi, c’est dans le secteur des soins de santé, des services sociaux, le secteur public et l’enseignement que les chercheurs constatent la catégorisation la plus négative au sujet des travailleurs plus âgés. Les indépendants seraient les moins partiaux à l’égard de ces travailleurs, qu’ils considèrent « vieux » à un âge plus tardif. Les demandeurs d’emploi partagent par contre plus de préjugés négatifs. Ils voient les travailleurs plus âgés comme souvent absents pour cause de maladie, souvent déprimés et plus socialement isolés au travail. Enfin les ouvriers ont de loin la perception la plus négative des travailleurs plus jeunes.

Au niveau régional, on remarque en Wallonie une catégorisation sociale plus négative tant des travailleurs plus âgés que plus jeunes, comparativement à la Flandre et à Bruxelles.

Une forme de discrimination plus acceptable que d’autres ?

Au moins 8% des répondants disent avoir éprouvé, au cours des 5 dernières années, des sentiments de discrimination en raison de la catégorie d’âge où ils se trouvent. Les ‘jeunes’ (18-34 ans) éprouvent sur le marché du travail des sentiments de discrimination lors de l’embauche, des promotions, des possibilités de formation et des licenciements. « Cette affirmation est en totale contradiction avec l’opinion générale selon laquelle les travailleurs les plus âgés sont les plus discriminés », constate Edouard Delruelle. « Le Baromètre de la diversité Emploi, un instrument structurel de mesure de la discrimination publié par le Centre en septembre dernier, montre que les (candidats)-travailleurs de plus de 45 ans sont effectivement plus régulièrement discriminés. Mais lorsqu’on aborde le ‘ressenti personnel’ de discrimination, les plus jeunes expriment davantage leurs sentiments de discrimination ».

Mais le chiffre le plus étonnant reste sans doute que près d’1 répondant sur 3 trouve qu’une discrimination sur base de l’âge lors de l’embauche est justifiée. Autrement dit les travailleurs eux-mêmes cautionnent les stéréotypes et les comportements discriminatoires de certains employeurs. L’âge est le premier critère de recrutement (distinctif) inhérent à la personne qui est le plus minimisé par les travailleurs, après les caractéristiques extérieures du candidat (look, manière de parler, apparence physique générale). « Ce chiffre est particulièrement interpellant », estime Edouard Delruelle. « Le Baromètre de la diversité Emploi a montré combien la discrimination fondée sur l’âge était aujourd’hui sous-estimée. Ce nouveau sondage confirme une certaine tolérance par rapport à ce type de distinction ».

Ce constat montre aussi toute la spécificité du critère de l’âge, un des 19 critères protégés par la loi antidiscrimination de 2007. « Aujourd’hui plus personne n’oserait imaginer des catégories sociales fondées sur la couleur de peau, l’orientation sexuelle, la religion, etc. Mais il en va tout autrement de la catégorisation sociale basée sur l’âge. La société est depuis des siècles fortement structurée et organisée autour de ce critère ». En quoi la législation antidiscrimination peut-elle bousculer ce « consensus social », et jusqu’à quel point cela est-il souhaitable ? C’est précisément sur cette question que se penchera le Centre ce 29 novembre, lors d’un séminaire fermé rassemblant juristes, sociologues, économistes et autres experts. Les conclusions des débats seront rendues publiques en 2013, lors de la parution de son prochain rapport annuel (mai 2013).

Plus d’infos :

Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle: www.beactive2012.be et http://europa.eu/ey2012

Publications du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme

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