Les trains handicapés ont un retard de 24 heures

Cette action de sensibilisation, organisée par Unia, mettait l'accent sur le manque d'accessibilité du réseau ferroviaire pour les personnes avec un handicap ou à mobilité réduite.

La possibilité de se déplacer et d'utiliser les transports publics est une condition sine qua non de la participation égale à la société des personnes avec ou sans handicap. Comment travailler, se distraire avec des amis ou étudier s'il n'est pas possible de rejoindre les différents lieux d'activité? L'autonomie et la liberté de se déplacer sont d'ailleurs des principes au cœur-même de notre société, auxquels personne n'imaginerait renoncer.

Pourquoi cette action?

Aujourd'hui encore, utiliser les transports en commun lorsqu'on a un handicap relève du défi, qu'il s'agisse des bus, trams, du métro ou du train. L'action de ce 3 décembre concerne cependant uniquement les chemins de fer. L'amélioration de la situation est souvent perçue comme étant extrêmement lourde, en termes d'investissements pour la mise en accessibilité des gares et des trains. Mais à côté des barrières environnementales, souvent dues à l'absence d'une politique d'accessibilité globale au départ, il reste aussi de nombreuses barrières culturelles et réglementaires à surmonter.

C'est la raison pour laquelle, à l'occasion de la journée internationale des personnes handicapées, Unia et le Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées ont décidé de mettre l'accent sur un de ces aspects. A l'heure actuelle, les personnes handicapées qui veulent prendre le train doivent réserver leur trajet minimum 24 heures à l'avance. C'est le délai que leur impose la SNCB pour obtenir une assistance, aussi minime soit-elle.

24 heures, cela signifie notamment :

  • qu'une simple réunion de travail doit être prévue au moins un jour à l'avance et son planning strictement respecté ;
  • qu'il est pratiquement impossible d'improviser une escapade à la mer si le soleil pointe le bout de son nez ;
  • que planifier des correspondances avec des trains et/ou bus peut tourner au cauchemar ;
  • que l'achat d'un billet Wavre – Louvain dure 50 fois plus longtemps que le trajet lui-même.

Ce délai de 24 heures semble difficile à justifier. Aux Pays-Bas, il n'est que de 3 heures. Une expérience pilote a été lancée pour le réduire à 1 heure et dans certaines gares et pour certains types de handicap, un quart d'heure suffit. Il n'est donc pas déraisonnable d'affirmer que la Belgique peut mieux faire…

A l'occasion de la Journée internationale des personnes handicapées, Unia et le Conseil supérieur national des personnes handicapées demandent donc à la SNCB :

  • de mettre fin à ce retard de 24 heures et de proposer des alternatives raisonnables;
  • d'accroître l'accessibilité de l'infrastructure et de garantir une assistance sur l’ensemble du réseau ;
  • de respecter les droits individuels des personnes handicapées, dont le droit de se déplacer, de travailler et de mener une vie sociale, en vertu notamment de la loi antidiscrimination et de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.

L'objectif d'une accessibilité totale des transports publics pour tou-te-s, en toute autonomie, reste un idéal. Rappelons toutefois que les aménagements demandés ne concernent pas uniquement les personnes handicapées. Ils profitent également à celles et ceux qui, de manière permanente ou temporaire, se déplacent plus difficilement (personnes âgées, personnes blessées ou malades, parents avec landau ou jeunes enfants…), autrement dit à chaque individu à un stade de sa vie.

Description de l'action

Des acteurs déguisés en accompagnateurs de train interpellent des voyageurs et leur demandent s’ils ont réservé leur billet 24 heures à l’avance. Ils leur expliquent que, si ce n'est pas le cas, ils ne peuvent pas prendre le train! Puis l’acteur ajoute : “Oh! Excusez-moi, je pensais que vous étiez handicapé(e). Cette contrainte de 24 heures ne pèse que sur les personnes handicapées.” Un dépliant (voir ci-joint) sera distribué aux voyageurs pour expliquer cette action.

Par ailleurs, des haut-parleurs diffuseront en boucle le message suivant (sur le ton caractéristique) : “Les trains handicapés ont un retard probable de 24 heures. Veuillez nous en excuser.”

  • Des banderoles seront également déployées le long des escaliers.
  • La SNCB sera symboliquement informée 24 heures à l'avance de cette action.
  • Une délégation d'Unia et du Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées se rendra à la SNCB dans la journée.

Consultez l'album photo sur Flickr.

Constats et temoignages

Constats sur le terrain

Unia et le Conseil Supérieur constatent, avec plaisir, la volonté manifeste du personnel de la SNCB de prévoir des moyens et fournir des efforts afin de rendre plus accessible les infrastructures. Ils soulignent notamment l'intérêt des mesures prévues dans le cadre du dernier contrat de gestion de la SNCB, garantissant une assistance dans plus d’une centaine de gares belges. Ils se réjouissent aussi de la mise en place par la SNCB d’équipes mobiles qui sous le label « B for You » offrent une assistance dans les gares sans ou avec peu de présence de personnel.

Sur le terrain par contre, Unia et le Conseil Supérieur constatent régulièrement des problèmes. L’obligation de “commander” une assistance 24 heures à l'avance reste un obstacle important.

Si le contact avec le personnel d'assistance se déroule généralement très bien, les procédures et règlements sont régulièrement mis en cause.

Chaque année, Unia, le Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées et l'Ombudsman de la SNCB reçoivent et traitent des plaintes à ce sujet.

En ce qui concerne les signalements enregistrés à Unia, ils portent essentiellement sur l’impossibilité d’embarquer ou de descendre des trains par défaut d’assistance au départ ou à l’arrivée, l’inaccessibilité des gares et/ou des quais et les conditions de réservation pour la personne à mobilité réduite.

Le rapport du médiateur de la SNCB indique également qu'"en raison de cette clause des 24h à l’avance, les personnes à mobilité réduite ont l’impression d’être « encore plus limitées » dans leurs actions. Elles ne peuvent pas prendre le train spontanément si elles en ont envie ou besoin. Et même si l’assistance a été demandée dans les temps, un événement peut toujours se produire le jour J (…). Le médiateur estime, avec tous les intéressés, que cette règle peut être assouplie pour offrir plus de flexibilité aux personnes à mobilité réduite désireuses de voyager par le rail."

Extraits de témoignages: carnets de voyage

[-] "Voyage Verviers Maastricht: réservation plus de 24 h à l’avance. Arrivée à Liège, le « monsieur jaune » a quelques minutes de retard et l’accompagnateur de train, malgré que la rampe est juste sous ses yeux, ne veut pas l’installer (problème récurrent car les accompagnateurs ne veulent pas prendre le risque de se blesser et ne pas être couverts par l’assurance !). Une fois que je suis installée, l’accompagnateur me dit que je n’aurai pas l’assistance à Maastricht…"

[-] "Voyage Ostende – Verviers: réservation faite le lundi pour le vendredi ! Pourtant pas de places dans la voiture car il y a déjà 2 chaises roulantes (donc la voiture est remplie). On m’oblige à me mettre sur la plateforme d’une autre voiture et il n'est pas possible de prendre le train suivant pour avoir une place adéquate (...). Il m'est aussi arrivé de vouloir réserver 23 h à l’avance. L’opérateur m’a dit que c’était trop tard !"

[+] "Chaque fois que j'ai pris le train, cela c'est très bien passé. Je téléphonais au call centre et leur rappelais qu'il fallait dévier le train sur la voie1 (les autres voies n'étant pas accessibles aux fauteuils roulants). Les employés accompagnateurs ont toujours été complaisants et souriants. Parfois, l'accompagnateur venait de loin (Spa) pour m'accueillir à Flémalle".

[-] "Réservation faite après 17h pour une prise en charge le lendemain vers 17h : bien que le délai de 24h soit respecté, la réservation n'a pas été acceptée car considérée trop tardive dans la journée".

[-] "J'ai un handicap visuel. Je travaille comme indépendant et suis amené à prendre le train pour rendre visite à des clients. Evidemment, il m'arrive de recevoir des demandes de visites après 16 heures, pour le jour suivant. Dans ce cas, je dois décliner, car il m'est impossible de voyager en train faute d'avoir pu réserver 24 heures à l'avance."

[+] "Mon expérience avec les gares de Louvain, Malines, Hasselt, Bruges, Ostende, Anvers et Duffel est que cette règle des 24 heures n'est pas toujours strictement appliquée. Parfois, une demande d'assistance est acceptée une heure avant le départ, pour l'embarquement, la correspondance et l'arrivée".

[-] "Je téléphone au call center un quart d’heure avant le délai imposé de 24h. J’attends une demi-heure en ligne (à mes propres frais…). On me répond enfin. Mais 1/4h après l’expiration du délai : on me refuse la réservation de l’assistance !"

Ce qui peut être amélioré

Les principales revendications des personnes handicapées portent sur:

Délai de 24 heures et call center

  • Suppression du délai de 24h pour demander une assistance
  • Possibilité de réserver par email et sms
  • Gratuité de l'appel vers le Call Center d’assistance
  • Amélioration de l’accueil et réduction du temps d’attente au Call Center

Personnel

Les accompagnateurs/le personnel d'assistance pourraient être soutenus dans leur travail via une formation portant sur les besoins des personnes avec un handicap / à mobilité réduite (comprenant aussi, pour le personnel d’accueil, un module permettant de mieux assister les personnes avec une déficience mentale)

Communication

La Communication doit être améliorée: notification des aménagements disponibles, présence continue aux pôles d’information, dépliants et brochure en braille / grandes lettres etc.

Sécurité

Amélioration de la sécurité des passagers avec un handicap (accessibilité des bornes d’appel d’urgence, doubler les annonces sonores par des annonces visuelles dynamiques en cas de danger, assistance en cas de problème,…)

Amélioration de l'infrastructure et du service

Amélioration de l’équipement, notamment:

  • Les passerelles doivent être en ordre de fonctionnement et le personnel formé à les placer (boucles auditives aux guichets, meilleure signalétique dans les gares, amélioration des annonces sonores ...)
  • Améliorer l'accessibilité et l'assistance dans les petites gares sans ou avec peu de personnel.
  • De manière générale, accroître l'accessibilité de l'infrastructure et garantir une assistance sur l’ensemble du réseau.

Aspects juridiques

Au niveau belge

Loi antidiscrimination

La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination interdit les discriminations fondées sur, entre autres, le handicap ainsi que l’état de santé. Cette loi ne propose pas de définition du handicap mais dans son esprit, le handicap naît de la confrontation d’une déficience avec un environnement inadapté (ce qui engendre diverses limitations).

Parce que le handicap se manifeste principalement dans un environnement inadapté, des mesures doivent être prises dans certaines situations afin d’éliminer les obstacles qui empêchent une personne handicapée de bénéficier d’un service. On parle d'aménagements raisonnables, autrement dit de "mesures appropriées, prises en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder, de participer et progresser dans les domaines pour lesquels cette loi est d’application, sauf si ces mesures imposent à l’égard de la personne qui doit les adopter une charge disproportionnée."

La loi antidiscrimination stipule que le refus de mettre en place des aménagements raisonnables pour les personnes avec un handicap constitue une discrimination.

Au niveau international

Selon le Règlement (CE) n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, les entreprises ferroviaires et les gestionnaires des gares doivent veiller à assurer l’accès des gares, des quais, du matériel roulant et des autres équipements aux personnes handicapées et aux personnes à mobilité réduite. Ils doivent aussi fournir gratuitement une assistance aux personnes handicapées et aux personnes à mobilité réduite, à bord du train et lors de l’embarquement et du débarquement.

L’assistance est fournie à condition que le voyage ait été notifié au moins quarante-huit heures à l’avance. Si tel n'est pas le cas, l’entreprise ferroviaire et le gestionnaire des gares doivent malgré tout s’efforcer de fournir à la personne handicapée ou à la personne à mobilité réduite une assistance qui lui permette de voyager.

Précisons toutefois que ce délai de 48 heures a été établi en tenant compte de l'infrastructure ferroviaire de l'ensemble des pays membres de l'UE, qui diffère fortement selon les Etats. Il s'agit donc d'une condition minimale, toute disposition nationale plus favorable restant donc vivement recommandée.

Par ailleurs, au niveau européen, le projet de Directive "Biens et Services" devrait élargir aux champs des biens et services le cadre juridique communautaire existant (directive 2000/78) prohibant la discrimination sur base du handicap. Notons que la Belgique est en avance sur ce dispositif européen. Depuis 2003 (1ère loi antidiscrimination belge), l'interdiction de discriminer concerne en effet déjà l'offre de biens et services, qu’ils soient privés ou publics. Les transports sont donc couverts par cette législation.

Enfin, un pas important a été franchi sur le plan international grâce à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la Belgique et entrée en vigueur le 1er août 2009.

Selon cette Convention, les personnes avec un handicap doivent pouvoir jouir de tous les droits civiques et politiques, économiques, sociaux et culturels ainsi que des garanties nécessaires à leur application. Des mesures doivent être prises pour garantir le droit à une mobilité personnelle (voir article 3, Principes généraux, article 5, Egalité et non-discrimination, article 9, Accessibilité et article 20, Mobilité personnelle).