‘Pas de mains présentables, pas de travail’

10 Décembre 2013

Condamnation pour discrimination d’un demandeur d’emploi à cause d’un (prétendu) handicap : le Centre plaide pour des objectifs chiffrés dans le secteur privé

Hier, le Tribunal du travail de Bruges a condamné la gérante d’un magasin de matériel informatique pour ne pas avoir engagé un vendeur en raison d’une maladie congénitale de ses doigts. « C’est une des premières condamnations pour discrimination à l’encontre d’un demandeur d’emploi en raison d’une caractéristique physique ou d’un prétendu handicap » relate Patrick Charlier, directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme.

Les faits remontent à 2010. La victime, un homme âgé de vingt-cinq ans, travaille en tant qu’intérimaire pour ledit magasin et est en période d’essai. Au vu de ses connaissances et de sa motivation, la gérante lui promet un contrat à durée indéterminée à condition qu'il mette immédiatement fin à son autre emploi (comme gardien de parking), ce qu’il fait. Quelques jours plus tard, la gérante lui apprend cependant que son contrat temporaire prend fin et qu’il n’aura finalement pas droit à un contrat à durée indéterminée. La malformation congénitale de ses doigts est à l’origine de cette décision.

Faute d’aboutir à une solution négociée avec la gérante, le jeune homme et le Centre se sont tournés vers le tribunal du travail. Patrick Charlier précise que « la décision de la gérante du magasin de matériel informatique constitue une violation de la loi Antidiscrimination : elle a en effet commis une discrimination directe sur base d’une caractéristique physique ou d’un handicap en se basant exclusivement sur des hypothèses et des préjugés.

Elle prétendait d’une part, que ses clients trouveraient la main du jeune homme peu « présentable » (« argument du client » utilisé quelques années plus tôt dans un autre dossier en justice, l’affaire Feryn, et qui fut rejeté par le juge) ; d’autre part, elle estimait, sans toutefois pouvoir le démontrer, qu’en raison de cette malformation, il ne pouvait ni dactylographier ni emballer des paquets et que, par conséquent, il ne pouvait assumer pleinement la fonction de vendeur.»

Patrick Charlier ajoute que « le Tribunal a rappelé à la gérante son obligation, en tant qu’employeur, de ne pas refuser de demandeurs d’emploi à cause d’une caractéristique physique ou d’un handicap , et ce tant qu’il peut y être remédié par des aménagements raisonnables. Le candidat travailleur a quant à lui perçu une indemnité équivalente à six mois de salaire ».

Cette affaire montre qu’il existe bel et bien un déficit fondamental sur le marché du travail belge. Selon Patrick Charlier: « aujourd’hui, des mesures de sensibilisation du secteur privé continuent d’être prises afin d’encourager une gestion des ressources humaines basée sur les compétences et une politique de diversité, et ce pour endiguer les discriminations. Cette approche montre ses limites. Il est temps de songer à introduire des objectifs chiffrés, notamment dans les grandes entreprises, à l’image de ce qui se fait dans le secteur public. L’entreprise qui atteindrait ces objectifs pourrait, par exemple, être récompensée dans le cadre de marchés publics. Pour les y aider, le gouvernement fédéral devrait, quant à lui, mettre rapidement en place un cadre relatif aux actions positives pour les groupes cibles ».

« Ceci est d’autant plus indispensable si les partenaires sociaux veulent se conformer à ce qui fut convenu en 2008 au sein du Conseil National du Travail: renforcer la participation des groupes cibles sur le marché du travail pour atteindre les objectifs de la stratégie européenne pour l’emploi : un taux d’emploi de 73,2 % en 2020. En 2012, il ne s’élevait qu’à 67,2%. »

« C’est également nécessaire pour les travailleurs avec un handicap: en 2011, leur taux d’emploi dans le secteur privé belge atteignait tout juste 36,2% alors que la Convention des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées, ratifiée par la Belgique, souligne leur droit à un travail rémunéré dans le circuit régulier de l’emploi. Pour rappel, le Centre est l’organisme indépendant chargé de veiller à l’application de la Convention dans notre pays: il suivra, avec une attention particulière, les initiatives de notre gouvernement en la matière. »

 

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