Les interviews de l’été: Jean Hallet

7 Août 2013
Critère de discrimination: Racisme

Jean Hallet, homme de compromis et de négociations, a toujours oeuvré dans l’ombre. Mais tous les observateurs qui ont suivi la politique belge durant les quarante dernières années savent qu’il a joué un rôle déterminant dans bien des dossiers politiques. Secrétaire général des Mutualités chrétiennes pendant près de vingt ans, et président de cette organisation jusqu’à sa pension, Jean Hallet a cumulé les fonctions dans de nombreux conseils d’administration et des arcanes du PSC, devenu CDH.

En tant que premier président du Centre pour l’égalité des chances et de la lutte contre le racisme, de 1993 à 2002, il retrace les premiers pas du Centre et le contexte qui a mené à sa création. Cette interview est extraite de la publication ’20 ans d’action. 20 regards'.

À l’écouter, c’est un peu par hasard qu’il aurait été nommé président du Centre pour l’égalité des chances, lors de sa création en 1993. Pourtant, c’est très probablement son profil discret, mais efficace, ayant l’oreille de nombreux hommes politiques (notamment à la suite du bras de fer qui l’opposa au corps médical représenté par le docteur André Wynen dans les années 60), qui a valu à Jean Hallet d’être pressenti pour cette fonction.

« C’est le Premier Ministre de l’époque, Jean-Luc Dehaene (CVP, devenu CD&V) qui est venu me chercher. Ma gestion efficace des Mutualités chrétiennes n’était certainement pas étrangère à ce choix. Mais sans doute aussi mon passage à la présidence du CA de la RTBF : on me prêtait la qualité d’être accepté par les différentes tendances  politiques malgré mon étiquette sans ambiguïté de social-chrétien. Je pense que c’est ce qui a guidé ma nomination. J’ai accepté cette mission en me mettant au service des deux directeurs adjoints : Jean Cornil, un homme généreux issu de la famille socialiste et ayant travaillé sur les  questions d’immigration dans les cabinets Moureaux et Onkelinx, et Johan Leman, un intellectuel de qualité mais aussi homme d’action ayant oeuvré pour l’insertion des immigrés, en créant l’asbl Foyer à Molenbeek et en tant que chef de cabinet de la Commissaire royale aux réfugiés, Paula D’Hondt (CVP). Ce n’était pas gagné d’avance de m’attirer leur confiance, mais je me suis mis à leur service sans me mêler de la gestion effective du Centre et je pense que, pendant dix ans, l’alchimie a bien fonctionné, jouant pour ma part un rôle d’appui et de conseil. »

La création du Centre, Jean Hallet la situe dans un contexte porteur en matière de lutte contre le racisme et la xénophobie : en effet, la loi Moureaux a été votée en 1981 et trace les contours forts (sur le plan juridique à tout le moins) d’une réaction institutionnelle contre les discriminations,
la haine, la violence à l’égard d’une personne en raison de sa couleur, de son ascendance ou de son origine nationale ou ethnique. Mais dans le même temps, certaines législations plus restrictives en matière de regroupement familial ou de durée de séjour pour les étudiants étrangers sont adoptées. La loi Gol, votée en 84, assouplit quant à elle les conditions d’acquisition de la nationalité belge.

Rétroactes

Dans ce paysage contrasté, comme l’explique Jean Hallet, on assiste à des difficultés croissantes à propos des questions d’immigration. « À la suite de l’immigration italienne, puis espagnole et portugaise dont l’intégration s’était progressivement réalisée (malgré un accueil catastrophique –  je me rappelle avoir passé un Noël avec des ouvriers italiens parqués dans des baraquements pour prisonniers de la seconde guerre), l’immigration maghrébine et turque pose à cette époque des problèmes différents. En effet, pour une partie notable de la population, il est difficile  d’accepter en son sein une minorité qui se présente avec une identité propre, différente de  l’identité apparente de la majorité. Des réticences se marquent sur le plan de la tolérance, plus encore sur le plan de la reconnaissance d’une égalité à ces minorités, notamment en matière  d’accès à une profession, à un logement, mais aussi sur le plan de la religion. Mais je me permets de le rappeler, il ne faudrait tout de même pas oublier qu’on est allés recruter cette main d’oeuvre bon marché avec des affiches placardées dans leurs villages, on est allés les chercher. C’était une politique délibérée de l’État que de les faire venir en masse. Certes la réussite du vivre ensemble pose alors des problèmes différents d’avec l’immigration antérieure, mais il faut se saisir du dossier et y travailler. »

Précédant la création du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Jean Hallet rappelle la constitution en 1989 du Commissariat royal à l’immigration, avec Paula D’Hondt, personnalité charismatique issue de la branche féminine du MOC flamand, et Bruno Vinikas, un socialiste francophone, comme Commissaires de gouvernement. Leur tâche consistait à traiter de manière systématique divers problèmes posés par l’immigration en matière de lutte contre le racisme, de manière à faire progresser la cause des immigrés. « Étant donné que ce Commissariat royal était voué à disparaître, car par nature temporaire, il a été décidé de consolider les acquis de cette commission et de profiter de cette brèche ouverte par l’équipe D’Hondt, Vinikas et Leman (déjà présent comme chef de cabinet de Paula D’Hondt) pour pérenniser cette action en créant le Centre, en février 1993. »

Dès le début, le rôle du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme est celui d’un aiguillon et les premiers directeurs, Cornil et Leman, s’y sont employés activement, avec Jean Hallet qui veille en arrière-garde : « Le Centre est un instrument magnifique permettant d’aller au feu pour certains combats, rôle qu’il joue depuis ses origines. Il permet aussi de prendre à bras le corps la question des discriminations en matière d’emploi, dans le logement,… Des dossiers pour lesquels la preuve est ardue et qui méritent pourtant une réaction active afin de faire appliquer les lois. Mais en même temps, les interventions du Centre sont également guidées par une volonté de médiation, de recherche de solutions effectives, de terrain. Le Centre est comme une sentinelle, un point de vigilance et d’aide à tous ceux qui sont brimés. »

Anne, ma soeur Anne…

Jean Hallet se souvient de plusieurs dossiers qui ont marqué sa présidence.

C’est avec une certaine émotion qu’il se remémore son intervention en tant que président du Centre devant la Cour d’Assises de Mons. Deux militants du Parti des Forces nouvelles y étaient poursuivis sur la base de la loi Moureaux et dans le cadre de la réglementation des délits de  presse, pour avoir distribué des tracts incitant à la haine raciale. « La veille de cette audience où je devais être entendu, j’avais rencontré Desmond Tutu au Parlement ; sa verve communicative m’a sans doute gagnée car devant les assises de Mons, je me suis emporté contre tous ceux qui cassent les efforts réalisés dans ce pays pour améliorer la cohabitation entre Belges et immigrés. Cela a créé un incident d’audience car l’ensemble de la salle, ainsi que deux jurés, se sont levés pour applaudir. Deux jurés qui ont ensuite été récusés. Les deux militants ont finalement été acquittés, mais je pense que cet événement a peut-être contribué, entre autres choses, à s’acheminer vers la correctionnalisation des délits de presse à caractère raciste, en 1999, avec la modification de l’article 150 de la Constitution. »

Autre gros dossier que Jean Hallet a eu à traiter : celui de la constitution du premier Exécutif des Musulmans de Belgique, en 1994 : « Depuis 74, le culte musulman était reconnu au même titre que la religion catholique, juive, protestante ou que la laïcité. À la différence de la France, cette  reconnaissance a chez nous des conséquences comme la rémunération des ministres du culte ou le financement des lieux de prière. Il fallait donc aller plus loin dans cette reconnaisssance pour permettre cette subsidiation. Le processus était déjà en cours lors de ma nomination comme président en 93 et je pense avoir oeuvré à la recherche d’un compromis pour une représentativité équilibrée au sein de cet Exécutif.

Jean Hallet se souvient aussi d’avoir proposé Nabela Benaïssa et sa famille comme lauréats du Prix 1997 pour une société harmonieuse, co-organisé par la Fondation Roi Baudouin et le Centre : « À l’époque, il s’agissait de mettre en exergue l’attitude ferme mais positive de cette famille face au drame qui l’avait frappé, soit la disparition de la petite Lubna, enlevée et assassinée par Patrick  Derochette. L’attitude digne de sa soeur Nabela qui se présentait voilée et qui exprimait son attachement aux valeurs démocratiques et à l’État de droit a sans doute fait beaucoup pour la lutte contre le racisme. » Un contexte et une ouverture qui ne sont malheureusement plus aussi favorables aujourd’hui, déplore Jean Hallet, et qui rend le rôle de vigie du Centre plus que jamais d’actualité.

Articles comparables

7 Mai 2024

Une directive européenne pour mieux protéger les citoyens contre les discriminations

Unia accueille avec enthousiasme l’adoption de la directive relative aux normes applicables aux "organismes pour l'égalité de traitement" par le Conseil de l’Union européenne ce 7 mai, sous la présidence belge. Il s’agit d’une directive majeure dans le contexte politique actuel car elle fixe des standards pour garantir l’indépendance des organes de promotion de l’égalité tels qu’Unia, leur assurer des ressources suffisantes ainsi que renforcer leur mandat et leurs pouvoirs.

19 Mars 2024

Journée contre le racisme 2024 : focus sur le marché du travail

A l’occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale 2024, Unia dévoile de nouveaux chiffres sur le racisme. En 2023, nous avons ouvert 670 dossiers en lien avec les critères dits raciaux. Près d’un tiers concernent le domaine de l’emploi. Pour faire baisser ce chiffre, Unia plaide pour une politique obligatoire de prévention des discriminations au travail et un renforcement de l’inspection du travail.