Les interviews de l’été : Françoise Rondeau

26 Août 2013
Critère de discrimination: Racisme

Françoise Rondeau est directrice du CERAIC (Centre régional d’action interculturelle du Centre) depuis 1997. Elle préside aussi le DISCRI (Dispositif de concertation et d’appui aux Centresrégionaux d’intégration). Elle revient avec nous sur une quinzaine d’années de travail de terrain dans le secteur de l’intégration en Région wallonne. Sur les origines de cette politique et les modifications législatives qui l’ont faite évoluer, sur les modifications des pratiques de terrain. Faisons avec elle quelques allers et retours entre hier et aujourd’hui, quelques déambulations entre éducation permanente et travail social, au fil des différents types de flux migratoires.

Avec Françoise Rondeau, point de grand discours. Pas de jargon scientifique non plus. Le regard pétillant, elle parle concret, terrain. Sans ambages et sans peur de mettre des mots sur les situations, elle évoque les évolutions de son secteur. « Je suis arrivée il y a quinze ans, en 1997, comme directrice du CERAIC, avec un tout nouveau décret et une page blanche à écrire. Le décret précisait les missions des Centres régionaux d’intégration (CRI), mais c’était assez large », explique-t-elle. Une piqûre de rappel qui contraste avec le discours présentant l’intégration non pas comme un processus bidirectionnel, mais comme un devoir qui incombe au seul migrant.

L’association engage d’emblée un psychologue d’origine turque afin d’entamer une vaste enquête sur les attentes des communautés turque et maghrébine en termes d’intégration, sur les difficultés qu’ils rencontrent. Il en ressort, entres autres, des questionnements sur l’évolution scolaire de leurs enfants et sur la notion même d’intégration : « Que signifie ce mot, qu’implique-t-il pour les personnes étrangères et d’origine étrangère ? Doit-on rentrer dans le moule ? L’intégration, est-ce de l’assimilation ? L’intégration, ce n’est pas un mot, une définition, c’est un processus », nous explique Françoise Rondeau. « L’intégration, pour nous, c’est arriver à concilier les différences entre les gens qui accueillent et les gens qui arrivent. C’est un système de croisement des personnes. C’est le mieux vivre ensemble, c’est se faire accepter mutuellement… », précise-t-elle.

Le décret du 4 juillet 1996 est l’occasion, pour les pouvoirs publics, de reconnaître un travail qui se fait sur le terrain depuis plusieurs années déjà. L’occasion, aussi, de mettre des mots sur un concept dont on ne parle pas encore beaucoup, explique la directrice : « Il y a vingt ans, on ne parlait pas encore d’intégration sur la place publique. La politique d’intégration et l’intégration elle-même se faisaient sur le terrain, à travers les associations. Aujourd’hui encore, la politique d’intégration en Région wallonne n’est pas exercée par les pouvoirs publics, mais à travers les CRI, les associations de migrants et celles qui travaillent avec les migrants. Ce cheminement de terrain et notre expertise ont donc acquis une reconnaissance de la part des services publics, aux différents niveaux de pouvoir. »

Interculturalité, intégration et cohésion sociale

Autre évolution consacrée par le décret : la toute nouvelle politique d’intégration se focalise désormais sur des pratiques plus sociales. « À l’origine du CERAIC, il y avait l’asbl AIC (Action interculturelle du Centre) qui regroupait quelques communes et associations, surtout d’origine italienne », se remémore Françoise Rondeau. « Il y avait deux ou trois travailleurs, mais qui travaillaient plus sur de l’éducation permanente que sur des matières sociales. » Conférences, rencontres culinaires et vestimentaires, réunions d’associations… étaient au menu. « De même, les pouvoirs publics appréhendaient l’intégration à la manière de l’éducation permanente. Les CRI ont mis un halte-là. » Désormais il s’agit de soutenir les personnes étrangères et d’origine étrangère dans leur intégration sociale et professionnelle. Quant au dialogue interculturel, s’il demeure un cheval de bataille des centres d’intégration, il se pratique à d’autres sauces. Tout un travail de sensibilisation à l’immigration, au racisme ou encore aux violences conjugales, par exemple, se développe tant à destination des professionnels de terrain que de la population dans son ensemble.

Au fil du temps, trois concepts clés, à la base du travail des CRI, subsistent : interculturalité, intégration et cohésion sociale. « Une évolution notable », précise Françoise Rondeau. « Le travail des CRI ne se focalisant plus uniquement sur la diversité liée à l’origine, mais élargissant sa réflexion à la diversité au sens large, comme celle liées au sexe. » La problématique de l’homosexualité, réprimée dans le pays d’origine, devient par exemple l’objet de plus d’attention.

Populations turques et maghrébines à l’origine, arrivée des populations issues des pays de l’Est ensuite, puis d’Afrique subsaharienne ces dernières années, les publics des CRI ont évolué. Les raisons de migrer aussi : migration du travail tout d’abord, regroupement familial ensuite. « Chaque culture a dû s’adapter, avec des rythmes différents », raconte Françoise Rondeau. « Nous avons dû faire face aux problématiques des mariages arrangés. Il y a des personnes qui arrivent dans des situations non prévues. Par exemple, une femme qui se retrouve mariée avec une personne porteuse d’un handicap mental. Le regroupement familial a posé le problème de la famille qui accueille ici. Il y a des familles qui se ‘modernisent’, leurs enfants vont à l’école, sont intégrés dans l’environnement, c’est-à-dire qu’ils fonctionnent tout à fait comme nous, ont les mêmes valeurs que nous. Tout ce qui est différent, c’est à la maison que ça se ressent, pas dans la vie publique. » Suivent ensuite les migrations dues à des facteurs géopolitiques : démantèlement de l’URSS, conflits en Afrique subsaharienne…Les futures migrations seront probablement liées à la non reconnaissance de l’homosexualité, aux conflits – encore et toujours – , et à des facteurs écologiques.

« Mais avec l’évolution des flux migratoires, nos manières de travailler n’ont pas vraiment changé », nous précise Françoise Rondeau. « On s’est peu à peu formés à la culture des différentes origines. On travaille avec les difficultés du trajet de l’immigration, et, plus particulièrement avec les Maghrébins et les Africains, avec leur image, parce qu’ils sont visuellement repérables. Mais le fil conducteur reste le même : problèmes de logement, de santé mentale (le CERAIC a notamment été à l’origine des centres Trametis et Semaphore à Charleroi et à Mons, services de santé mentale liés à l’exil, ndlr), d’insertion professionnelle… »

Inburgering à la sauce wallonne

On se trouve aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle modification législative. Un nouveau décret régissant le secteur est en cours de préparation en Région wallonne. La grande nouveauté : l’installation d’un parcours d’intégration à destination des primo-arrivants. Un peu dans la ligne de ce qui se fait en Flandre avec son « inburgering ». À la (grosse) différence près que ce dernier est entièrement obligatoire, ce qui ne sera pas le cas côté wallon. « Pourtant, idéalement, la connaissance de la langue devrait être obligatoire », s’échauffe légèrement notre interlocutrice. « La connaissance de la langue, c’est ce qui facilite la vie à l’étranger. La grosse discussion, elle est là. Tout le parcours devrait être obligatoire, mais dans ce cadre-là, il faudrait évidemment mettre d’autres moyens que ce qui est actuellement prévu. La Flandre a confié cette mission aux services publics et a mobilisé des moyens pour financer cela. Ici, on doit signer une convention avec le primo-arrivant, mais il n’y a pas d’obligation des parties, la personne peut disparaître à tout moment… »

C’est d’ailleurs en ce sens qu’évolue le nouveau Code de la nationalité belge qui est d’application depuis janvier 2013. La connaissance d’une des langues nationales et le fait d’avoir réalisé un parcours d’intégration sont deux conditions nécessaires pour obtenir la nationalité belge. Il est également question d’un nombre minimum de jours de travail effectués sur le sol belge. De quoi  faciliter l’intégration de tous ? « Aujourd’hui, le travail qui reste à faire demeure énorme, surtout en période de crise. Car le risque d’accentuer le phénomène de bouc émissaire à l’égard des étrangers est important. Et il ne faut pas laisser passer cela… », conclut Françoise Rondeau qui constate en effet une recrudescence du « racisme ordinaire », ce racisme quotidien qui prend  résolument racine dans un sentiment d’insécurité de plus en plus prégnant.

Cliquez ici pour accéder à la page sur '20 ans d'action. 20 missions. Réflexions sur les premières missions du Centre'.

Articles comparables

7 Mai 2024

Une directive européenne pour mieux protéger les citoyens contre les discriminations

Unia accueille avec enthousiasme l’adoption de la directive relative aux normes applicables aux "organismes pour l'égalité de traitement" par le Conseil de l’Union européenne ce 7 mai, sous la présidence belge. Il s’agit d’une directive majeure dans le contexte politique actuel car elle fixe des standards pour garantir l’indépendance des organes de promotion de l’égalité tels qu’Unia, leur assurer des ressources suffisantes ainsi que renforcer leur mandat et leurs pouvoirs.

19 Mars 2024

Journée contre le racisme 2024 : focus sur le marché du travail

A l’occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale 2024, Unia dévoile de nouveaux chiffres sur le racisme. En 2023, nous avons ouvert 670 dossiers en lien avec les critères dits raciaux. Près d’un tiers concernent le domaine de l’emploi. Pour faire baisser ce chiffre, Unia plaide pour une politique obligatoire de prévention des discriminations au travail et un renforcement de l’inspection du travail.