Les interviews de l’été : Fatima Zibouh

26 Juillet 2013
Critère de discrimination: Racisme

Aujourd’hui, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme vous présente un 3ème témoignage extrait de la publication '20 ans d’action. 20 regards'.

Fatima Zibouh est chercheure. Elle s’intéresse particulièrement aux questions liées à l'ethnicité et à la diversité. Ses engagements sociétaux sont nombreux, notamment dans le cadre du groupe G1000, de l'Association belge des sciences politiques ou encore comme administratrice suppléante au Centre pour l'égalité des chances.  « Il faut dépasser les débats médiatiques et politiques qui montent les groupes les uns contre les autres. »

Les grands-parents de Fatima Zibouh ont débarqué dans les années 60 à Molenbeek-Saint-Jean dans le cadre de l'immigration marocaine. Ses parents se sont rencontrés ici en Belgique. Elle est née et a grandi à Bruxelles et est aujourd'hui maman d'un petit garçon. Quatre générations et 50 ans après l'arrivée de sa famille en Belgique, elle se situe de cette manière et dans le même temps elle s'étonne de la référence incessante que l'on fait encore toujours à ses origines. « Comme se fait-il que cette référence soit toujours aussi prégnante, malgré le fait que nous soyons implantés ici depuis plusieurs décennies ? On m'interroge encore toujours sur mon intégration au sein de la société belge, alors que c'est tout à fait anachronique. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles, après avoir choisi des études de sciences politiques à l'ULB, suivie d'un master en droits de l'Homme à l'UCL, je me suis intéressée comme chercheure aux questions relatives à l'ethnicité et à la multiculturalité. Il s'agit de sujets qui me touchent, qui me parlent dans mon quotidien. J'aurais pu m'engager sur des questions liées au syndicalisme ou entamer des recherches sur les théories politiques à l'œuvre au sein de la gauche. La vie a fait que je me suis intéressée à la thématique de la diversité pour laquelle j'avais une sensibilité particulière et des clefs de compréhension spécifiques du fait de mes origines. »

L''Autre', désormais musulman

Une des thématiques auxquelles s'est intéressée cette jeune femme, largement investie dans des engagements sociétaux (qu'ils soient communautaires, au sein des quartiers, ou extracommunautaires, au sein du G1000, du think thank Aula Magna ou de l'asbl Tayush qui vise l'inclusion sociale des différentes composantes de la société), concerne la participation politique des populations issues de l'immigration maghrébine (et turque). « En 2004, à la fin de mes études, il y a eu une véritable percée de la population maghrébine en politique. En 89, lors de la création de la Région de Bruxelles-Capitale, il n'y avait aucun élu issu de l'immigration ; aux élections de 1995, quatre parlementaires élus sont d'origine maghrébine ou turque ; en 99 ils seront 8. Lors du dernier scrutin qui date de 2009, ce sont plus de 20% des élus (soit 23 parlementaires bruxellois d'origine étrangère, ndlr) qui sont ainsi concernés. L'évolution en 30 ans est donc impressionnante et l'inclusion politique, largement répandue. » S'agit-il là d'une inclusion effective ou d'une utilisation de ces populations sur le plan électoral ? Pour Fatima Zibouh, la situation évolue positivement : « Les élus d'origine étrangère en ont en tout cas marre d'être considérés comme des arguments électoraux: ils veulent surtout être des élus belges comme les autres et leurs interpellations montrent bien la pluralité de leurs centres d'intérêt. Ils refusent désormais d'être cantonnés dans un rôle de porte-parole de leur communauté : aujourd'hui on assiste à une professionnalisation des pratiques de ces élus et leur investissement politique est lié à une identité territoriale, plutôt qu'ethnique ou communautaire. »

Pour la chercheure, malgré ces avancées très intéressantes, le débat récent sur le parcours d'intégration est révélateur de la confusion que la société belge entretient encore toujours entre des populations présentes en Belgique depuis près de 50 ans et des personnes primo-arrivantes sur le territoire. « Une telle confusion repose sans doute sur le fait qu'à part certains domaines particuliers, comme le sport ou le domaine artistique, où il y a un plus grand brassage des individus au-delà de l'identité culturelle, il n'y a pas de réelle interpénétration des populations, chacun restant cantonné dans son quartier et étant identifié comme l'« Autre ». Le véritable défi est situé sur ce terrain de la mobilité, du mélange, de l'interconnaissance. »

Un mouvement qui, selon Fatima Zibouh, a été notablement freiné avec les attentats du 11 septembre et qui a entraîné un déplacement de ce qui est considéré comme l'« Autre » : « Par le passé, on assistait à une stigmatisation des Arabes, des Marocains. En 96, au moment de la marche blanche, Nabela Benaïssa, voilée, a été tout un symbole et a marqué les esprits en permettant à la société belge de s'ouvrir à cet « Autre ». C'est à cette époque que certains pas ont été faits dans la bonne direction, comme la mise sur pied d'un Exécutif des Musulmans de Belgique ou l'organisation de parcelles réservées aux sépultures de défunts musulmans dans les cimetières belges. Les événements de septembre 2001 qui ont eu un impact mondial ont complètement changé la donne. Aujourd'hui, c'est le musulman qui est devenu le bouc émissaire. L'islam est devenu un point de crispation, de cristallisation de tous les problèmes. Il y a eu un déplacement de la nomination du référentiel identitaire et le délit de faciès est désormais associé à la religion. Il y a aujourd'hui clairement un fait islamophobe qui n'est pas assez pris en compte et qui mérite une meilleure prise en charge. Les médias mettent également en évidence des mouvements extrémistes comme Sharia4Belgium qui ne sont en rien représentatifs de la communauté musulmane, laquelle est mise en situation défensive et en a d'ailleurs marre de devoir se justifier en permanence, alors qu'elle a d'autres préoccupations comme boucler les fins du mois ou celle de favoriser la réussite scolaire des enfants. »

Avec la crise, cette stigmatisation très forte des populations maghrébine et turque a de nouvelles répercussions que la jeune femme observe d'ailleurs au travers d'un nouveau phénomène : celui du retour vers les pays d'origine. « Pour des personnes qui sont nées ici et ont grandi ici , on ne peut pas parler de retour, mais cela arrive de plus en plus fréquemment que des jeunes se tournent vers le Maroc, la Turquie, les pays du Golfe pour s'établir et développer leurs activités car ils s'y sentent acceptés, pris en compte pour leurs compétences et car ils échappent aux discriminations pour cause de mauvais faciès. Ils doivent faire leurs preuves là-bas aussi, mais dans le respect de leur personne. »

S'unir contre les discriminations

Sans vouloir polémiquer, Fatima Zibouh évoque brièvement l'épisode de sa nomination en 2010 au sein du Conseil d'administration du Centre pour l'égalité des chances qui a provoqué des remous, lié au fait qu'elle porte le foulard. Des réactions qu'elle a perçues comme très violentes et qui l'ont profondément marquée, mais qu'elle estime relever de cette crispation à l'égard de la religion musulmane. Et ce, « malgré mes engagements citoyens, mon combat pour l'égalité hommes-femmes. Cela m'a renforcée dans la conviction qu'il faut agir contre les préjugés et les stéréotypes. La liberté d'expression est très importante, mais en étant incluant, non excluant. Cela m'a permis de rencontrer des tas de gens qui voulaient en savoir plus sur la femme que je suis derrière ce foulard. Ce que l'on pourrait espérer de manière plus générale, c'est que les conseils d'administration soient plus représentatifs de la diversité, que l'on brise le plafond de verre existant à cet égard. À l'instar du combat mené par les femmes ».

Pour elle, construire une société harmonieuse nécessite un front commun contre toutes les formes de discriminations, pour lutter aux côtés des musulmans contre les discriminations qu'ils subissent, mais contre les réactions négatives qui existent aussi au sein de la communauté maghrébine à l'égard des homosexuels. Pour rejoindre les revendications de femmes surdiplômées, mais qui, à cause de leur foulard, ne peuvent pas travailler ou encore pour lutter contre les discriminations envers les personnes handicapées. « Il faut dépasser les débats médiatiques et politiques qui montent les groupes les uns contre les autres. C'est comme cela qu'on arrivera à répondre aux défis majeurs de la société. »

'20 ans d'action. 20 regards. Réflexions sur les premières missions du Centre' sera disponible sur www.diversite.be fin juillet 2013.

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